La collection Léo et Léa

La méthode

L’unité de traitement de la lecture est la lettre, par Colette Ouzilou

Dans la théorie proposée par le Dr Michèle Mazeau (cf. « Compétences cérébrales et lecture »), le traitement phonographique est abordé en début d’apprentissage, ce qui est la logique même, sous le nom « d’assemblage » (tableau 2). 

Cette voie de lecture ne serait utilisable que sur les mots réguliers et inefficace sur les autres (irréguliers, homophones), ce qui limiterait son emploi ; d’accès au sens peu sûr, gênant la compréhension, donc faillible. De plus elle serait lente, ce qui est incompatible avec une bonne lecture, exigeant enfin la « récupération » dans un lexique auditif du mot exact qui a été lu , mot qui est donc inaccessible s’il n’y figure pas. Ses exigences multipliées la rendent laborieuse, compliquée ; ses insuffisances, lacunaire et peu convaincante pour le maître, non formé d’ailleurs aux « règles de segmentation du mot écrit », à la conversion graphème/phonème et à leur assemblage.

Ainsi décrite, la voie d’assemblage, présente sporadiquement dans la méthode mixte, nous la connaissons bien : elle fournit en « dyslexiques » notre clientèle du primaire. Elle n’évoque en rien la méthode phonético-syllabique que beaucoup utilisent, celle, par exemple, de « Lire avec Léo et Léa », simple et parfaitement efficace.

Telle pourtant, et utilisée par intermittence, la voie d’assemblage doit transmettre à la « voie d’adressage » (figure 3), ouverte parallèlement, les connaissances suffisantes pour permettre à celle-ci d’engranger un « lexique orthographique de mots », reconnus et compris instantanément.

Nourri par cette « bibliothèque », l’adressage, substitué à la logographique globalisant une « silhouette », possède toutes les qualités de la lecture qui était dite « courante » avant les novateurs des années cinquante : fluidité, rapidité, accès direct au sens. Seule différence avec la lecture courante, celle-ci doit, évoquant sa réserve mnésique, reconnaître les mots orthographiquement connus. De la richesse de cette réserve dépend donc la qualité de la lecture. Les mots peu ou pas connus, incompris, étrangers à ce capital, renvoient à l’assemblage… et à ses défaillances.

Cette double voie donne une lecture rapide et survolée sous l’impulsion de la réserve lexique, mais ralentie, peinant sur les mots inconnus non évocables. Incomprise, c’est la lecture de nos patients, préadolescents cette fois, mauvais lecteurs qui ne lisent pas.

Si l’on considère en effet que l’adressage consiste à capitaliser le plus de mots possible orthographiquement connus pour bien lire et comprendre, l’apprentissage de la lecture n’est jamais fini, donc jamais acquis.

La figure 1 nous éclaire sur la « maille sautée » par cette théorie, mixte encore avec ses deux voies de lecture, et toutes deux limitées.

« La lecture à voix haute, dit ce tableau,réclame la mise en œuvre de fonctions supplémentaires indépendantes de la lecture elle-même ». Ce qui laisse entendre que la sonorisation n’a pas grand-chose à voir avec l’apprentissage de la lecture. Aucune précision n’est donnée sur ces fonctions dont la lecture ne dépend pas. On le regrette d’autant plus que ce point nie l’importance de la lettre, symbole à double face – phono-graphique – qui implique l’oreille autant que l’œil dans la lecture.

Nous ne pouvons oublier, pour l’avoir constaté et repris chez certains alexiques, que, le versant sonore de la lettre une fois perdu, le patient ne sait plus lire. Les lettres sont pour lui « mortes », et l’écrit muet. Donc incompréhensible.

Lire, en effet, c’est « entendre » l’écrit avec précision, instantanément, par la voix du langage, si ce langage est accessible, bien entendu. Quelles compétences s’agit-il de construire, autres que l’écoute d’un graphisme dont la transparence obéit à la vocation visuelle et sonore de l’alphabet.

Du son des lettres, de leur synthèse syllabique, naît le sens. Le décodage, que l’apprentissage doit rendre réflexe, est donc, dans une vraie lecture, constant, inconscient, oralisé ou non, quelle que soit la virtuosité du lecteur. Savoir lire et écrire, c’est utiliser sans conscience de le faire, donc sans effort, cette médiation qui structure l’écrit et accède au sens. Apprendre à lire et écrire, c’est acquérir la maîtrise de cet acte médiateur qui « agit » lettres et graphèmes selon leurs lois de combinaison, jusqu’à leur automatisation.

De découverte récente (2002)1 , la « reconnaissance orthographique des mots » évoque ce que je décris dans mon premier ouvrage (page 50)2 sous le nom de « schématisation » de mots déjà rencontrés et décodés à voix haute.

Cependant, la différence est grande entre le mot aux lettres connues, et reconnu ensuite globalement, et le schème, dont la structure phonographique et grammaticale, celle-ci éminemment instable, est non reconnue, mais réactivée à chaque rencontre, avec ses variantes grammaticales propres, par le réflexe du décodage permanent.

Cette permanence du passage de l’oral à l’écrit, et inversement, est prise en charge et programmée par l’hémisphère gauche du cerveau (aire occipito-pariétale) dont la fonction interprétative traite les symboles, donc le langage sous toutes ses formes3. Son installation couvre le CP jusqu’à la mi-CE1 en cas de besoin. Voie unique d’apprentissage, elle est, si son cursus est maîtrisé et si la production écrite, non copiée, accompagne la lecture, gratifiante pour l’enfant, simple pour l’enseignant, contrairement à ce qui est dit. Elle n’évoque que de loin celle proposée par le Dr Michèle Mazeau. Elle n’a d’ailleurs pas le même objectif : il n’y s’agit pas de mots engrangés (principe réducteur) mais de lettres activées en permanence selon leurs lois de synthèse, et dont le champ illimité donne accès à tous les mots, ou non-mots, connus ou inconnus ; ceux-ci, perçus comme tels puisque lisibles, enrichissent le lecteur.

Lecture enrichissante et comprise : l’accès au sens dépend moins de la césure lexique que du déroulement phonographique. Un texte plein de fautes peut se comprendre si son traitement phonique est respecté. « Il s’en va », écrit « il sanva », gêne l’œil, mais est « entendu » et compris par l’oreille. « Je mange du pijon » est compris, « Je mange du poison » ne l’est pas.

L’unité de traitement de la lecture est la lettre (26 + les graphèmes complexes) et non le mot, au nombre illimité. Un vocabulaire réduit ne gêne pas l’apprentissage, qui le développe. La compréhension n’est plus, alors, affaire de lecture, mais de culture.

 

Colette Ouzilou

Dans Dyslexie, une vraie fausse épidémie (Presses de la Renaissance), Colette Ouzilou fait l’exposé détaillé de son analyse des méthodes d’apprentissage de la lecture.


1 Circulaire ministérielle du 31 janvier 2002 sur la mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit.

2 « Dyslexie, une vraie fausse épidémie », Presses de la Renaissance, 2001.

3 Travaux de Roger Sperry sur l’influence de la déconnexion des hémisphères cérébraux sur le comportement et les activités mentales.